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Malgré-Nous, incorporés de force : hommage à l'Alsacien Georges KUSTER (25.10.1922 - 30.11.1943) de Lautenbach, qui aurait 100 ans ce jour.

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100 ans aujourd'hui, cela signifie qu'ils pourraient potentiellement être encore des nôtres ...
Ils, ce sont ces jeunes garçons de la classe 1922, incorporés de force dans la Wehrmacht, parce qu'Alsaciens, et, toujours parce qu'Alsaciens (c'est à dire pas assez allemands), presque systématiquement envoyés sur le front de l'Est, d'où ils n'avaient aucune chance de revenir.
Contraints par l'odieux chantage lié à l'application du principe allemand de la Sippenhaftung (qui consistait à faire peser sur les autres membres de la famille les conséquences d'une désertion), ces jeunes n'avaient d'autre choix que de se soumettre à l'incorporation.
Pris dans l'engrenage de la pression militaire, seule une certaine grève du zèle était possible :
"Nous avons dû nous signaler quant à la possibilité d'intégrer la Luftwaffe (Pilote, Radio, Observateur etc...).
 Aucun de nous ne l'a fait,
car le formulaire était ainsi rédigé :"Je me porte volontaire pour ..."
(Extrait d'un courrier du 1er Mai 1943)


Georges KUSTER a été incorporé le 6 Avril 1943, à l'âge de 21 ans, après avoir effectué les 2 mois règlementaires de RAD ( ReichsArbeitsDienst, un mélange d'éducation militaire et de service civil ) du 8 Octobre au 30 Décembre 1942.
Envoyé sur le front de l'Est à partir du 14 Octobre 1943 avec quelques autres camarades Alsaciens, c'est au sein de la 35è Division d'Infanterie, qui s'inscrivait dans la HeeresGruppeMitte ( le groupe d'armées Centre, le plus puissant des trois groupes d'armées impliquées dans l'invasion de l'Union Soviétique, l'opération Barbarossa ), qu'il perd la vie le 30 Novembre 1943 au soir, aux environs de Gomel (Biélorussie).

Voici le témoignage de l'un de ses compagnons Alsacien, Edouard W., dont les proches ont compilé et traduit les lettres du front dans une brochure intitulée "La flamme ne s'éteindra pas" :

Cet ami qui relate la mort de Georges KUSTER, est à son tour tombé quelques mois plus tard, le 23 Juin 1944, et nous voulons ici lui rendre hommage également ; voici, issu de la même brochure consacrée à Edouard W., le témoignage d'un troisième camarade :


Comme tant d'autres, Georges KUSTER n'a pas pu bénéficier ni d'une tombe, ni des honneurs militaires, et encore moins, on s'en doute bien, du rapatriement de son corps à Lautenbach ...

"Notre escadron a dû se retirer de quelques centaines de mètres peu de temps après qu'il avait été touché,
et par suite son corps n'a pu être enterré ; son chef de groupe n'a pu que vite aller jusqu'à lui pour
constater sa mort et rapporter sa plaque d'identité"
(Lettre de témoignage d'un camarade)


Le chef d'escadron s'en excuse d'ailleurs platement, dans sa lettre officielle de condoléance :

Quant au courrier que les proches continuaient à envoyer aux soldats, les croyant toujours vivants (pendant parfois plusieurs semaines), il leur était finalement rigoureusement retourné, encore cacheté, mais avec la mention : "Retour à l'envoyeur ; destinataire tombé pour la Grande Allemagne".


Lettre postée à Lautenbach par la soeur de Georges KUSTER le jour même de la mort de celui-ci .
Elle lui a été retournée bien plus tard, avec toutes les suivantes, par les services postaux militaires, tamponnée de la fatale mention.
Par pudeur, elle n'a jamais été ouverte.


Seuls ceux de nos lecteurs qui, dans leur jeunesse, ont vu à maintes reprises leur(s) grand-mère(s) parfois âgées de plus de 90 ans, pleurer systématiquement, à l'évocation de la disparition tragique d'un cher petit-frère ou grand-frère Malgré-Nous, comprendront l'ampleur des drames traversés par les familles Alsaciennes, et l'inconsolabilité de certains proches qui, selon différents témoignages concordants, en sont parfois littéralement morts de chagrin.
Des deuils d'autant plus impossibles que de nombreuses victimes, comme on le voit dans cet article, ne disposent, à ce jour encore, d'aucune sépulture concrète ou connue ...

Démarche rare, aléatoire et fastidieuse à l'époque, la grande soeur de Georges KUSTER a obtenu de la courageuse administration Française l'attribution, en 1957, de la mention "Mort pour la France"...
Une bien piètre consolation, quand le recul historique nous démontre que tous ces jeunes sont surtout morts ...pour RIEN, si ce n'est pour le bénéfice de quelques-uns, toujours les mêmes, qui ne méritent aucunement qu'on lève le petit doigt pour eux !

On en profite pour féliciter tous nos élus Alsaciens, passés et à venir, pour leur énoooooorme courage face au délicat dossier des Malgré-Nous : on attend toujours et encore un monument digne de ce nom qui rende hommage comme il se doit, à ces victimes dont le seul tort était d'être Alsaciens....
Et ce ne sont pas les quelques cérémonies organisées à la va-vite, le 25 Aout dernier, pour se donner bonne conscience, qui suffiront à reconnaître et honorer ces martyres, dont les corps oubliés, quelque part dans l'immensité des plaines Russes, réclament justice, respect et mémoire.

Car pouvons-nous, actuellement, nous permettre le luxe d'OUBLIER ?

Terminons sur ce poême magnifique de Maurice MAGRE, que la soeur de Georges, ô combien symboliquement, récitait à ses petits-enfants de Lautenbach :


Sans linceul, sans bouquet et sans inscription
Sans croix, sans grille en fer, sans pierre funéraire,
Ils dorment sous un tertre, au milieu des sillons.
Ils n'ont pour les étreindre et fermer leurs paupières,
Que la terre, leur mère, aux cheveux sans rayons,
Sa caresse d'argile, et son baiser de pierre;

Le clairon matinal ne les réveille plus :
Ils auront désormais pour chant et pour musique
Ce qu'au saule creusé, chante la vigne antique
Et ce qu'au pont désert, hurle le chien perdu ;

Ils n'ont pour compagnon des soirs mélancoliques,
Que le grillon errant sur leur humble talus ;
A quoi bon une tombe, avec sa croix dressée?
La fleur se sèche vite, et le marbre est trop lourd !

Vous vivrez, sous la terre anonyme, toujours,
O Morts ; vous aurez chaud, durant les nuits glacées :
Nous avons fait, avec la trame des pensées,
Des lits de souvenirs et des berceaux d'amour.

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